Notre point de vue publié dans Les Echos 15/01/2020 "Interpol, une arme contre le Japon pour Carlos Ghosn"
Interpol : une arme contre le Japon pour Carlos Ghosn
On peut raisonnablement se demander pourquoi, trois jours après la fuite de Carlos Ghosn vers le Liban, le Japon a choisi de saisir Interpol en vue de l’émission d’un mandat d’arrêt international, prenant la forme d’une « notice rouge » dont la portée est sérieusement limitée puisqu’elle vise à « localiser » et à faire « extrader ».
Or, d’une part la localisation de Carlos Ghosn est connue, et d’autre part, la règle de non-extradition des nationaux bénéficie à l’ancien chef d’entreprise, qui s’est réfugié dans l’un des Etats dont il est ressortissant. En soi, l’utilisation du mécanisme de notice rouge dans ce cadre ne répond qu’à l’objectif de prévenir la libre circulation du fugitif qui s’exposerait à une arrestation et à une extradition s’il voyageait dans d’autres Etats membres d’Interpol dont il n’est pas le ressortissant. Une façon en quelque sorte d’emprisonner Carlos Ghosn au Liban. Une prison de 10.500 km²…
Ce mécanisme de mandat d’arrêt international étant lourd de conséquences pour les personnes visées, ces dernières ont la possibilité de contester, avant même leur arrestation et sans être obligées de se constituer prisonnier préalablement, la validité de la notice qui les concerne auprès d’une Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF) composée d’experts indépendants.
Une opportunité pour la défense de Ghosn
Aussi, en sollicitant Interpol, le Japon s’expose potentiellement à un examen scrupuleux des rouages de cette affaire par cette commission. Carlos Ghosn doit saisir cette opportunité et contester sa notice rouge pour démontrer au monde entier que ce qu’il dit est vrai en faisant valoir deux points majeurs de sa défense qui seraient de nature à déconstruire la stratégie nippone de ce que Carlos Ghosn prétend être une forme de « business lawfare ».
Pour faire annuler la notice rouge, Carlos Ghosn pourrait démontrer un flagrant déni de ses droits de l’homme
Le second argument est celui de la violation des droits de l’homme. Ainsi, pour faire annuler la notice rouge, Carlos Ghosn pourrait démontrer un flagrant déni de ses droits de l’homme et de justice dans le cadre de la procédure au Japon, notamment s’il devait y être extradé et jugé. Au regard des incompatibilités notoires entre le droit pénal japonais et les normes internationales, notamment relativement aux aveux forcés, aux droits de la défense et aux garanties du procès équitable, une telle démonstration, bien construite et documentée, pourrait emporter la conviction des experts de la Commission.
Un tel résultat viendrait légitimer aux yeux du monde la fuite de l’homme d’affaires. En contestant sa notice rouge, Carlos Ghosn s’expose certes à ce que la commission de contrôle des fichiers, composée d’experts indépendants, invalide son système de défense, mais en ne le faisant pas, il reconnaît lui-même la faiblesse de ses arguments.
Ludovic Hennebel est professeur de droit et avocat au barreau de Marseille. François Mazon est avocat au barreau de Marseille.
Publié le 15 janvier 2020.